Les élèves ne savent plus s’ils peuvent rêver d’un avenir. Les parents craignent pour les débouchés. Alors que grimpe le chômage des jeunes, les conseillers d’orientation sont sur tous les fronts. Des «copsys» parlent de leur métier, en pleine mutation.
Dans quelques jours, Pierre, en seconde au lycée Maurice-Ravel, à Paris, va devoir choisir : demander une première ES ou S. Sur son bulletin du deuxième trimestre, les deux voies lui sont ouvertes. Avant de trancher, il a pris rendez-vous avec la conseillère d’orientation de l’établissement. «Je préfère ES. Mais ma mère me dit que si je peux, S c’est mieux, parce que ça ouvre toutes les portes.»- «Il faut voir si tu veux faire médecine, une carrière scientifique ou devenir ingénieur, répond la conseillère Gisèle Lévy. Qu’est-ce qui t’intéresse ?»«L’économie et le commerce. Et puis en première S, tout le monde dit que c’est très difficile. J’ai peur de galérer. A quoi bon me mettre la pression ?» - «Tu as le niveau pour les deux», commente la conseillère en parcourant ses bulletins sur son ordinateur. «Ce que je veux, c’est une mention au bac. Il paraît que ça peut faire la différence. C’est important, c’est un choix stratégique. En ES, je pourrai en avoir une, mais pas en S.» Pierre, qui prend son orientation très au sérieux, pose encore quelques questions sur les débouchés de la filière ES. Puis il repart, l’air serein : «Ma mère m’a dit qu’elle me soutiendrait dans mon choix.»
«Cet élève avait déjà pratiquement décidé, commente Gisèle Lévy, il venait surtout pour confirmer son choix.» Le cas de Kevin, qui s’est présenté juste avant, était plus délicat. Après avoir déjà redoublé sa troisième, il n’est pas admis en première générale. Il peut aller en première technologique ou redoubler. Il hésite : «Je n’ai pas de projet précis.» Kevin est sûr d’une chose : pour se mettre au travail, il doit partir en internat. «J’en ai trouvé un à Rennes, j’ai un ami qui y va. Mais mes parents disent que c’est trop loin. Il y en aurait plus près ?» demande-t-il. Gisèle Lévy surfe sur son ordinateur et tente de le sonder sur ses envies. «Je voudrais bien essayer ES ou j’ai pensé à un bac agricole», répond Kevin. La conseillère va devoir cibler large. Le lycéen part, des adresses d’internats en poche.
Gisèle Lévy fait partie des 4 800 conseillers d’orientation-psychologues - c’est leur titre exact, une formation psychologique leur étant demandée - de l’Education nationale, une profession très en vue à l’heure où l’on reproche à l’école de mal préparer les élèves aux besoins de l’économie et où la lutte contre le décrochage est une priorité. Parmi eux, 900 sont des contractuels, un statut de plus en plus fréquent au fil des suppressions de postes des dernières années.
Les conseillers d’orientation sont devenus de véritables hommes et surtout femmes orchestres, la profession s’étant largement féminisée. Ils passent d’un rôle à l’autre : une médiation entre une mère et sa fille en désaccord sur le choix des études, une réunion avec les parents sur la procédure Admission post-bac, des conseils de classe, l’accueil de mineurs étrangers tout juste arrivés qu’il faut scolariser. La réception individuelle des élèves n’est plus qu’une petite partie de leur travail. «De plus en plus, ils deviennent des conseillers techniques pour les directions d’établissements qui doivent désormais organiser tout un volet orientation», explique-t-on au ministère.
La réforme de l’école actuellement débattue au Parlement prévoit que tous les élèves, de la sixième à la terminale, suivront des «parcours d’orientation» - soit des séances pour les préparer à choisir, plus tard, leur cursus. On compte sur les conseillers pour former les enseignants à cette nouvelle mission, pour trouver des témoins pouvant parler de la vie en entreprise, organiser des visites… «Avant, les jeunes venaient surtout pour s’informer, se souvient Martine Vanhamme-Vinck, à la tête d’un CIO à Paris. Aujourd’hui avec Internet, ils ont souvent trop d’informations et ils se perdent. Il faut les ramener à leurs envies et à leurs compétences. Il y a vingt ans, les jeunes construisaient leurs parcours scolaires et ils voyaient après. Aujourd’hui, ils pensent d’emblée : que vais-je devenir sur le plan professionnel ? Enfin, pour nous l’Internet a été magique : on ne trimballe plus des piles de brochures…»
Avec la montée du chômage des jeunes, les conseillers d’orientation se retrouvent au confluent de toutes les angoisses. Angoisse des parents de voir leurs enfants prendre une voie «bouchée», angoisse des élèves qui ne savent plus s’ils peuvent encore rêver ou s’ils doivent aller simplement là où il y a de l’emploi, angoisse enfin d’une société qui s’inquiète du déclassement de ses enfants et redoute les explosions d’une jeunesse sans perspectives. Dans le même temps, l’image du conseiller d’orientation s’est détériorée. Symbole du malaise des banlieues, il est devenu, aux yeux de certains, celui qui vous condamne à la relégation… En 2003, Jamel Debbouze avait consacré un sketch cruel à ceux qu’il appelle «les conseillers de désorientation». Il mettait en scène un jeune d’une cité qui rencontre son conseiller et lui dit qu’il veut devenir médecin. Interloqué devant pareille ambition, son interlocuteur le remet à sa place : «Pour toi, ce sera un BEP services !»
Les inquiétudes renvoient à un débat de fond : le conseiller d’orientation doit-il préparer les jeunes à l’entrée sur le marché du travail ? Ou d’abord l’aider à trouver sa voie et lui apprendre à s’orienter lui-même, sachant qu’il sera sans doute amené à changer de métier dans sa vie ? «Faut-il lier l’orientation aux débouchés, ou se centrer sur le jeune et son développement personnel indépendamment de l’aspect économique ? interroge Robert Poisson, directeur d’un autre CIO à Nantes. Je dirais que nous sommes là pour faire le lien entre les désirs et la réalité.»
Les milieux économiques reprochent à l’école, et en particulier aux conseillers d’orientation, de mal connaître l’entreprise et de contribuer aux déséquilibres actuels. Ils en veulent pour preuve les 70 000 postes qui ne trouvent pas preneurs alors que le chômage des jeunes grimpe. «D’un côté, les entreprises cherchent à recruter. De l’autre, des jeunes sont sans emploi mais ne veulent pas y aller, constate Robert Poisson. Ce n’est certainement pas le conseiller d’orientation qui a la solution.» Au ministère, on explique que le métier va évoluer mais que «cela se fera avec les syndicats lors des discussions prévues à l’automne».«Peut-être faudra-t-il ouvrir la profession à d’autres profils, à des gens connaissant mieux le monde économique et professionnel et pouvant faire le lien», suggère-t-on. En attendant, les copsys sont devenus incontournables pour traiter un fléau social : le décrochage de 140 000 jeunes qui quittent chaque année l’école sans diplôme. Un travail invisible d’une profession mal connue et qui s’estime sous-estimée.
En avril, une Plateforme de suivi et d’appui aux décrocheurs s’est réunie dans un CIO de Nantes en présence de la ministre de la Réussite éducative, George Pau-Langevin. Autour de la table, des conseillers d’orientation côtoient des représentants de la mission locale, de la mission d’insertion qui dépend du rectorat, de son équivalent pour l’enseignement catholique, etc. Robert Poisson commence par le cas d’un jeune de 16 ans, en troisième préprofessionnelle, qui a lâché et ne fait plus rien. «Ses parents sont défaillants et sa grand-mère, très inquiète, est venue nous voir deux fois», explique-t-il. «C’est un peu tard pour lui trouver quelque chose d’ici septembre», déplore un participant. «On ne peut pas le laisser dans la nature, on pourrait prendre contact avec un CFA du bâtiment», suggère un autre. La discussion terminée, un conseiller d’orientation prend le dossier suivant sur la pile, énorme.
«Cet élève avait déjà pratiquement décidé, commente Gisèle Lévy, il venait surtout pour confirmer son choix.» Le cas de Kevin, qui s’est présenté juste avant, était plus délicat. Après avoir déjà redoublé sa troisième, il n’est pas admis en première générale. Il peut aller en première technologique ou redoubler. Il hésite : «Je n’ai pas de projet précis.» Kevin est sûr d’une chose : pour se mettre au travail, il doit partir en internat. «J’en ai trouvé un à Rennes, j’ai un ami qui y va. Mais mes parents disent que c’est trop loin. Il y en aurait plus près ?» demande-t-il. Gisèle Lévy surfe sur son ordinateur et tente de le sonder sur ses envies. «Je voudrais bien essayer ES ou j’ai pensé à un bac agricole», répond Kevin. La conseillère va devoir cibler large. Le lycéen part, des adresses d’internats en poche.
Guider une prof sur le portail des formations
En attendant le rendez-vous suivant, la conseillère passe un coup de fil pour un élève de seconde en grande difficulté qui va s’orienter en pro. Une formation, à Paris, pourrait l’intéresser - un bac pro laboratoire. Mais avant de décider, il faut qu’il voie de quoi il s’agit, passe une journée sur place. Gisèle Lévy tente de joindre le chef de travaux du lycée pour obtenir son accord. Il est sorti déjeuner. Il faudra rappeler. Une enseignante frappe à la porte. Elle voudrait des conseils. Professeure principale en première, on lui a demandé de faire, avec ses élèves, une simulation de la procédure Admission post-bac (dite APB), le portail compliqué sur lequel les lycéens de terminale formulent leurs vœux pour des formations dans le supérieur. Elle pensait que ce serait simple en suivant les indications du site. Elle est tombée de haut…Gisèle Lévy fait partie des 4 800 conseillers d’orientation-psychologues - c’est leur titre exact, une formation psychologique leur étant demandée - de l’Education nationale, une profession très en vue à l’heure où l’on reproche à l’école de mal préparer les élèves aux besoins de l’économie et où la lutte contre le décrochage est une priorité. Parmi eux, 900 sont des contractuels, un statut de plus en plus fréquent au fil des suppressions de postes des dernières années.
Aider les «décrocheurs»
Comme tous les «copsys» (leur nom dans la novlangue de la maison), Gisèle Lévy a environ 1 300 élèves dans son secteur : les lycéens de Maurice-Ravel, un établissement mixte socialement, et ceux du collège Françoise-Dolto où fut tourné le film Entre les murs (palme d’or 2008 à Cannes) et dont la population est nettement plus défavorisée. Chaque jeudi, elle passe la journée à Maurice-Ravel, où elle dispose d’un grand bureau - un luxe à Paris où les locaux scolaires sont généralement exigus. Le lundi et souvent le mardi après-midi, elle s’installe au collège Françoise-Dolto où elle partage une pièce avec l’assistante sociale. Le reste du temps, elle est au CIO - le centre d’information et d’orientation - du XXe arrondissement où elle accueille le public - des jeunes mais aussi parfois des adultes voulant reprendre une formation. Elle reçoit aussi sur rendez-vous des élèves et leurs familles, fait passer des tests psychotechniques, planche sur des dossiers de décrocheurs qui veulent «raccrocher» , prépare des forums sur les métiers, se tient au courant des nouveaux intitulés de formations aux acronymes obscurs…Les conseillers d’orientation sont devenus de véritables hommes et surtout femmes orchestres, la profession s’étant largement féminisée. Ils passent d’un rôle à l’autre : une médiation entre une mère et sa fille en désaccord sur le choix des études, une réunion avec les parents sur la procédure Admission post-bac, des conseils de classe, l’accueil de mineurs étrangers tout juste arrivés qu’il faut scolariser. La réception individuelle des élèves n’est plus qu’une petite partie de leur travail. «De plus en plus, ils deviennent des conseillers techniques pour les directions d’établissements qui doivent désormais organiser tout un volet orientation», explique-t-on au ministère.
La réforme de l’école actuellement débattue au Parlement prévoit que tous les élèves, de la sixième à la terminale, suivront des «parcours d’orientation» - soit des séances pour les préparer à choisir, plus tard, leur cursus. On compte sur les conseillers pour former les enseignants à cette nouvelle mission, pour trouver des témoins pouvant parler de la vie en entreprise, organiser des visites… «Avant, les jeunes venaient surtout pour s’informer, se souvient Martine Vanhamme-Vinck, à la tête d’un CIO à Paris. Aujourd’hui avec Internet, ils ont souvent trop d’informations et ils se perdent. Il faut les ramener à leurs envies et à leurs compétences. Il y a vingt ans, les jeunes construisaient leurs parcours scolaires et ils voyaient après. Aujourd’hui, ils pensent d’emblée : que vais-je devenir sur le plan professionnel ? Enfin, pour nous l’Internet a été magique : on ne trimballe plus des piles de brochures…»
Avec la montée du chômage des jeunes, les conseillers d’orientation se retrouvent au confluent de toutes les angoisses. Angoisse des parents de voir leurs enfants prendre une voie «bouchée», angoisse des élèves qui ne savent plus s’ils peuvent encore rêver ou s’ils doivent aller simplement là où il y a de l’emploi, angoisse enfin d’une société qui s’inquiète du déclassement de ses enfants et redoute les explosions d’une jeunesse sans perspectives. Dans le même temps, l’image du conseiller d’orientation s’est détériorée. Symbole du malaise des banlieues, il est devenu, aux yeux de certains, celui qui vous condamne à la relégation… En 2003, Jamel Debbouze avait consacré un sketch cruel à ceux qu’il appelle «les conseillers de désorientation». Il mettait en scène un jeune d’une cité qui rencontre son conseiller et lui dit qu’il veut devenir médecin. Interloqué devant pareille ambition, son interlocuteur le remet à sa place : «Pour toi, ce sera un BEP services !»
«La figure la plus détestée, loin devant les policiers»
Plus récemment, dans son enquête sur la Seine-Saint-Denis, le chercheur Gilles Kepel note que les conseillers d’orientation «sont la figure la plus détestée par nombre de jeunes, loin devant les policiers». «Nous sommes des boucs émissaires faciles, explique France Jeudy, directrice de CIO à Nantes. Un jeune s’aperçoit qu’il s’est trompé de voie, et il se retourne vers le conseiller d’orientation. Bien sûr, il y a des ratés, ça ne peut jamais être du 100%. Mais c’est injuste. On ne ménage pas nos efforts. Et on fait face à des cas de plus en plus lourds, des collégiens complètement perdus dont plus personne ne sait quoi faire.»Les inquiétudes renvoient à un débat de fond : le conseiller d’orientation doit-il préparer les jeunes à l’entrée sur le marché du travail ? Ou d’abord l’aider à trouver sa voie et lui apprendre à s’orienter lui-même, sachant qu’il sera sans doute amené à changer de métier dans sa vie ? «Faut-il lier l’orientation aux débouchés, ou se centrer sur le jeune et son développement personnel indépendamment de l’aspect économique ? interroge Robert Poisson, directeur d’un autre CIO à Nantes. Je dirais que nous sommes là pour faire le lien entre les désirs et la réalité.»
Les milieux économiques reprochent à l’école, et en particulier aux conseillers d’orientation, de mal connaître l’entreprise et de contribuer aux déséquilibres actuels. Ils en veulent pour preuve les 70 000 postes qui ne trouvent pas preneurs alors que le chômage des jeunes grimpe. «D’un côté, les entreprises cherchent à recruter. De l’autre, des jeunes sont sans emploi mais ne veulent pas y aller, constate Robert Poisson. Ce n’est certainement pas le conseiller d’orientation qui a la solution.» Au ministère, on explique que le métier va évoluer mais que «cela se fera avec les syndicats lors des discussions prévues à l’automne».«Peut-être faudra-t-il ouvrir la profession à d’autres profils, à des gens connaissant mieux le monde économique et professionnel et pouvant faire le lien», suggère-t-on. En attendant, les copsys sont devenus incontournables pour traiter un fléau social : le décrochage de 140 000 jeunes qui quittent chaque année l’école sans diplôme. Un travail invisible d’une profession mal connue et qui s’estime sous-estimée.
En avril, une Plateforme de suivi et d’appui aux décrocheurs s’est réunie dans un CIO de Nantes en présence de la ministre de la Réussite éducative, George Pau-Langevin. Autour de la table, des conseillers d’orientation côtoient des représentants de la mission locale, de la mission d’insertion qui dépend du rectorat, de son équivalent pour l’enseignement catholique, etc. Robert Poisson commence par le cas d’un jeune de 16 ans, en troisième préprofessionnelle, qui a lâché et ne fait plus rien. «Ses parents sont défaillants et sa grand-mère, très inquiète, est venue nous voir deux fois», explique-t-il. «C’est un peu tard pour lui trouver quelque chose d’ici septembre», déplore un participant. «On ne peut pas le laisser dans la nature, on pourrait prendre contact avec un CFA du bâtiment», suggère un autre. La discussion terminée, un conseiller d’orientation prend le dossier suivant sur la pile, énorme.