jeunes et moins jeunes se sont investis dans des petites activités d’utilité publique. Ils aident les citoyens à remplir des formulaires et à rassembler des dossiers en contrepartie de quelques dizaines de dirhams. On les trouve devant les administrations publiques (impôts, CNSS, tribunaux) ainsi que devant les consulats de Casablanca.
Chaque fois qu’une procédure suppose de remplir un formulaire, ce qui est le cas de bon nombre d’administrations, de jeunes diplômés chômeurs ou des retraités de ces mêmes administrations investissent les lieux pendant les heures de travail. Moyennant une rétribution, ils apportent une aide précieuse à des citoyens qui ne sont pas toujours capables d’accomplir une telle tâche. Leur outil de travail : un stylo, des imprimés et une bonne connaissance des administrations, des procédures et des circuits. Ils apportent ainsi une réponse aux milliers de Marocains qui ne maîtrisent pas bien l’usage écrit de la langue ni les rouages de l’administration.
Omar est l’homme à tout faire. A l’entrée de la Maison de l’assuré (dépendante de la CNSS), à Casablanca, Omar apporte une aide précieuse à des personnes en quête d’informations. «Je les aide à s’orienter, à trouver la bonne solution à leur problème», explique-t-il. Omar qui possède également une petite machine de plastification et fait office de gardien de motos, effectue ainsi un travail d’utilité publique auprès d’une population en quête d’informations et d’aide. «J’oriente la personne vers l’imprimé adéquat. Je remplis les formulaires pour ceux qui en ont besoin. Je les envoie au bureau concerné. Si on me paie pour ma prestation, c’est tant mieux. Sinon, Allah issameh», lance-t-il, avant de se remettre au travail. Ce matin-là, Omar est en train de laver une voiture. «On fait ce qu’on peut pour vivre et faire vivre sa famille», conclut-il.
Du côté du service des Mines, avenue des FAR, on trouve des hommes et des femmes qui ont pour but de régler des dossiers liés à la délivrance ou au renouvellement du permis de conduire, d’une carte grise ou encore aux procédures de la visite technique.
Remplir des formulaires, conseiller et orienter
Devant la porte, quatre personnes sont installées sur des bureaux improvisés, sous un parasol. Elles ont pour principal travail de vendre et remplir dossiers et imprimés. Elles aident également à constituer le dossier complet pour les différentes demandes. Abdelkader, la cinquantaine entamée, fait de cette activité son principal travail depuis plusieurs années. «Je ne demande jamais une somme d’argent déterminée pour ma prestation. Je laisse cela à l’appréciation du client», explique-t-il tout simplement. Abdelkader ne fait pas que remplir des formulaires. Il conseille aussi des citoyens qui connaissent mal les rouages de l’administration, et les oriente vers les bonnes personnes pour telle ou telle procédure. En général, le prix de la prestation varie entre 30 et 50 DH. «Ces personnes-là devraient être à l’intérieur du bâtiment pour pallier l’absence d’un bureau de renseignement. Ils font un travail important pour les citoyens, surtout pour ceux qui ne maîtrisent pas les procédures», explique un jeune homme qui vient de faire appel à Abdelkader pour le dossier concernant sa carte grise. D’autres prennent position un peu plus loin de l’administration du service des Mines. Abderrazak, rencontré à la terrasse du café d’en face, se présente comme un retraité du service des Mines. A ce titre, il peut faire office de facilitateur auprès de cette administration. Abderrazak, comme Abdelkader, peut par exemple remplir le dossier pour la carte grise. Il peut aussi servir d’intermédiaire pour vous garantir un plus bref délai de délivrance de votre document. L’homme a du succès, car beaucoup veulent éviter les longues files d’attente à l’intérieur du bâtiment.
Le même scénario se répète devant une des plus importantes administrations de la ville, les Impôts. Là encore, des intermédiaires s’improvisent spécialistes ès remplissage de formulaires, ou encore comptables. Lauréat d’une école privée de comptabilité, Soufiane gagne sa vie en remplissant des formulaires, en particulier la déclaration pour les personnes physiques. «C’est un dossier qui demande une connaissance en comptabilité. Mes clients sont contents de s’en libérer pour 200 ou 300 DH», explique-t-il. Quand cette clientèle se fait rare, Soufiane aide les citoyens à remplir l’imprimé nécessaire au paiement de l’impôt en cas de vente ou d’achat d’un véhicule. «Il est très difficile de trouver cet imprimé. Ces personnes sont les seules à en disposer. L’une d’elles m’a aidé à le remplir pour 30 DH. C’est une aubaine», lâche ce citoyen. Parfois, ces personnes se montrent très insistantes. Et le ton monte vite quand un client est pris entre deux intermédiaires, décidés tous deux à saisir l’aubaine. C’est le cas devant la Recette de l’administration fiscale du centre-ville à Casablanca, où il est question de payer la vignette, la carte grise ou des impôts relatifs aux marchés publics. On y parle de puissance fiscale des voitures, qui dépendent du nombre de chevaux. A l’entrée, branle-bas de combat afin de mettre la main sur le client qui a besoin d’aide pour remplir le formulaire, mais aussi pour que son dossier passe avant celui des autres… «Il y a plein de monde à l’intérieur… Venez avec moi et je vous garantie que votre dossier va être traité rapidement», insiste ce jeune homme qui prétend connaître les fonctionnaires de cette administration…
Le service des Mines, les lmpôts et la CNSS ne sont que des exemples d’administrations investies par ces personnes à la recherche d’un revenu en échange d’un travail somme toute utile aux citoyens. On retrouve ce genre de profils à la Poste, particulièrement au service des colis postaux. Là, telle personne a obtenu l’aval de l’administration pour emballer la marchandise dans un colis, inscrire l’adresse et parfois remplir le formulaire d’envoi. Cette personne digne de confiance fait, dans bien des cas, ce travail depuis de nombreuses années.
Le bureau dans un cyber
Les procédures d’obtention des visas ont également fait émerger de nouveaux petits métiers liés aux formulaires. Pendant des années, des jeunes ont investi cette filière, surtout devant les consulats d’Italie et de Belgique. Mais, depuis que la procédure a été sous-traitée loin des locaux de ces deux consulats, la filière a pris un coup, sans toutefois recevoir le coup de grâce. Rachid, 45 ans, s’est investi dans ce travail depuis des années. Il recrute ses clients parmi les demandeurs du visa des Etats-Unis. Tout le monde le connaît. Il opère au café à côté du consulat. «Aujourd’hui, la procédure passe par Internet. En pratique, je remplis le formulaire en ligne et je l’envoie au service consulaire afin d’obtenir le rendez-vous pour le client», explique-t-il. Tout cela depuis un cybercafé du quartier. La date du rendez-vous atterrit dans la boîte mail de Rachid, qui la communique au demandeur de visa. L’homme est spécialiste de la procédure nord-américaine. Il effectue la même opération pour ceux qui demandent un visa pour le Canada. «C’est la même procédure. Il n’y a pas de consulat canadien à Casablanca, mais on peut boucler toute la procédure dans un cybercafé de Casablanca», explique-t-il. Rachid, connaisseur, aide également les demandeurs de visas à rassembler les documents nécessaires, qu’il contrôle avant le jour du rendez-vous. Une bonne partie de sa clientèle a un faible niveau éducatif, et certains sont même analphabètes. L’ensemble de cette prestation rapporte à notre interlocuteur 150 à 200 DH par dossier.
Ce travail n’a rien à voir avec d’autres pratiques très répandues devant les tribunaux. Une autre faune a élu domicile devant les tribunaux, à la recherche d’un justiciable désemparé. Mais l’offre de ces rabatteurs professionnels diffère d’un univers à l’autre. «Dans le cas des contentieux civils, ces rabatteurs proposent une intermédiation afin de faire basculer la balance du côté du client. En général, ce sont des personnes qui maîtrisent plus ou moins le jargon juridique, connaissent du monde dans les tribunaux et proposent leurs services moyennant une commission», explique un avocat civiliste de Casablanca. Au pénal, les choses prennent une autre tournure, nettement plus grave: les «semsara» vont jusqu’à proposer au client désemparé des témoins capables d’innocenter le prévenu ! «Il y a eu à plusieurs reprises des descentes de police dans les cafés proches du tribunal ainsi que dans les parkings. Il y a eu également des arrestations. Ces rabatteurs représentent un danger pour la bonne marche de la justice, surtout quand ils ramènent de faux témoins», confie le même avocat. Il arrive qu’un magistrat écarte le témoignage d’un témoin, s’il juge que c’est un faux. Le parquet peut enclencher des poursuites, s’il les juge nécessaires. Mais, comme le tribunal doit traiter des centaines de dossiers par audience, il est très difficile pour le procureur d’entamer une telle procédure…
Devant le tribunal de la famille, d’autres personnes recherchent des couples en instance de divorce et à la recherche d’un «hakam» (sorte d’arbitre). «Ce sont des personnes rompues à cet exercice. Pour une somme de 50 à 100 DH, ils jouent le rôle de hakam durant des conseils de conciliation, en prétendant être un membre de la famille d’un des conjoints», explique un gardien de voitures, travaillant à proximité du tribunal.
Si dans le registre de la justice, ces travailleurs de l’ombre flirtent allègrement avec l’illégalité, voire le délit, dans les autres cas, ils ont un rôle salvateur pour de nombreux citoyens et leurs familles. Surtout que les administrations marocaines manquent cruellement de service de médiation capable de faire face aux demandes des citoyens.
Dans l’univers des boulots bizarres…
Mohamed n’a pas de travail fixe. En fait, il en a plusieurs durant l’année. Il change d’occupation en fonction des besoins des gens. «Je ne peux pas exercer une seule activité toute l’année. C’est simple, je ne peux pas m’en sortir de cette façon-là. Alors, j’ai opté pour plusieurs boulots répartis sur les douze mois de l’année», explique ce trentenaire, père de deux enfants et habitant un bidonville à Ain Sebaâ. A la rentrée scolaire, Mohamed vend cahiers, stylos et autres fournitures scolaires dans un grand souk populaire de Casablanca. A l’occasion d’Aïd Al Adha, il ouvre un commerce de vente de fourrage, s’improvise aussi «aiguiseur de couteaux». Parfois il loue aussi une charrette pour transporter les moutons du marché jusqu’au domicile de l’acquéreur. Durant la fête d’Achoura, il fait commerce de jouets et de pétards «Made in China». Pour la fête du Mouloud, il troque les jouets pour des bougies et de l’encens. Pendant Ramadan, il s’improvise marchand de dattes et de «chabbakiya». «Ce n’est pas toujours facile, mais c’est ainsi que je parviens à faire vivre ma famille». D’autres choisissent des métiers, le moins que l’on puisse dire, surprenants. Abderrahim propose aux nombreux voyageurs qui arrivent à la gare routière, de leur chercher un taxi, pour un pourboire de quelques dirhams. Abdellah lui, fait le tour des poubelles à la recherche des boîtes en plastique, surtout celles de cinq litres, qu’il revend ensuite, un dirham pièce, aux vendeurs d’huile d’olive du quartier des Habous. Sans oublier les fameux marchands de vieux habits qui rachètent vêtements et vieux journaux. Quant aux «guerrabas», ces vendeurs d’eau ambulants, ils sont en grande partie devenus «mendiants» dans les bus… Dans un autre registre, des centaines de parieurs qui ont perdu travail et fortune s’improvisent courtiers. On les trouve dans les agences du Pari mutuel urbain (PMU) et dans les dizaines de points de vente de paris de chevaux, où ils conseillent les turfistes. «Le matin, je fais le tour des sites des paris dans le cyber du quartier pour se faire une idée des pronostics de la journée. Quand je donne la bonne combinaison à un turfiste, je demande ma commission», explique Bouchaïb, un courtier dans une agence du PMU du centre-ville de Casablanca. Grâce à ce travail, Bouchaïb gagne 100 à 500 DH par jour. Pas mal pour un boulot précaire…
La Vie éco